Pour nous, le but était simple : mettre nos pieds sur cette montagne dont on nous a tant parlé ; apprécier la nature et redécouvrir ce qu'est un massif montagneux d'envergure. Pour cela, on avait rêvé très fort ; et à la fin, on dormait peu.
Nous sommes partis fin septembre et comptions finir début octobre. En tout, deux semaines. Dans nos sacs, juste le nécessaire pour que nos corps heureux et fiers puissent s'épanouir à leur maximum et se prendre de temps à autre pour des mouflons. Au premier abord, sortant de Bruxelles, nos narines ont été submergées par les odeurs du maquis, ainsi que des pins Laricio. On était soulagé de pouvoir à nouveau respirer. On prend un bus, on téléphone, puis ce fut un pick-up qui tangue comme un bateau, ça tourne à gauche puis à droite, et ça monte tout doucement. Enfin, le véhicule s’arrête. A nous la liberté. Nos semelles commencent à chauffer quand, dans la première côte, nous nous retrouvons quasi à la verticale. Dans un éclair de pensée, un regard, un mot : quel pays !
Conca – I Paliri
Les montées se succèdent pour nous emmener à la première des fenêtres qui s'ouvre sur la mer et les montagnes. Là, nous saluons une femme qui nous dit qu'elle attend son mari pour la dernière descente, au retour de l'axe nord-sud. Beau cadeau. Nous, on continue. C'est notre première journée. On a le feu au derrière, on avance aussi vite que les taxis de Bruxelles, c'est l'excitation. Nous comprenons que le GR20 est un serpent en mouvement que l'on va devoir apprivoiser. Le refuge d'I Paliri nous attend. Une fois notre emplacement pris, on s'assoit avec une bière, et les jambes qui se relâchent. Le lendemain, nous irons au refuge d'Asinau. On a entendu que nos voisins de tente se lèveront à 5h30 ; on fera de même.
I Paliri - Asinau
Nous suivons les cailloux, les pins, les lézards des murailles et, surtout, les balises rouges et blanches ; nous montons et redescendons, passons une porte de granite avec des gros blocs, puis devant les aiguilles de Bavella, qui feraient rêver n'importe quel grimpeur. On se perd un peu pour retrouver notre chemin et terminons par une belle grimpée vers le refuge d'Asinau.
Asinau – I Croci
D'Asinau, on a prévu d'aller au refuge d'Usciolu. On sait déjà que le matin on va avoir 500 m de dénivelé à manger tout cru. On se regarde et on y va. Ce matin-là, le ciel est rempli d'une brume épaisse qui me rappelle un peu le roux d'un bon vol-au-vent. On l'a grimpé. Faut dire que c'était tellement vertical que j'aurais pu lui donner une petite cotation de 3a. On est arrivé au-dessus du col ; le vent nous a revigorés d'un coup, on avait chaud ça tombait bien. Par contre, pour la variante alpine que l'on devait emprunter, trop dangereux. Le vent a commencé à nous souffler. Il était accompagné de son amie la pluie, ce fameux crachin dont on a l'habitude par chez nous. Je n'ai jamais marché aussi vite en montagne, la première bergerie était la bienvenue, et ce fût celle d' I Croci, très confortable, avec une grande table et plein de gens comme nous, trempés jusqu'aux os. Nous ne pouvions pas avancer plus loin pour ce jour-là. La météo nous a fait boire du café, puis du vin, manger du fromage, puis du saucisson. Nous avons dû laisser passer une bonne journée de marche.
I Croci – Bocca Di Verde
Lendemain, départ à 7h00. Ce jour-là, on a prévu de faire I Croci - Bocca di Verde. Autrement dit, la plus longue étape de montagne de ma vie. Un peu plus de 30 km avec 2000 m de dénivelé positif et 2000 de dénivelé négatif. Il y a eu tellement de montés et descentes que je suis confus dans les paysages traversés. Mais toujours d'un côté la mer, de l'autre le granite ; un quart de tour et la forêt de Pin. Bocca di verde fut une conquête en soi, mais après une bonne douche chaude, un bon morceau de fromage de brebis et un ballon de rouge, nous retrouvons facilement le sourire.
Bocca Di Verde - Vizzavona
Nous sommes au troisième jour, on a prévu d'aller de Bocca di Verde à Vizzavona. On se chauffe un peu les jambes en se trompant un petit peu de chemin. Nous revoilà sur le bon, la forêt succède au minéral encore une fois, mais c'est toujours plus beau de jour en jour. Après une longue journée de marche, nous voici à Vizzavona, point névralgique du GR20. Il y a une gare, deux restaurants, une épicerie, un camping et deux gîtes. Cela ressemble à la civilisation. On en profite pour acheter du saucisson et du fromage, un peu de pain pour casser la monotonie des lyophilisés. On mangera un bon plat au restaurant, suivi de quelques Pietra et verres de myrthe. Il faut y aller, pas marcher, mais dormir. Faut dire qu'un sommeil à la myrthe, tu y rêves follement. Frais, il fait frais ce matin, nous rentrons dans la partie nord, objectif du jour : Vizzavona-Onda.
Vizzavona – Onda
Ça fait quelques jours que l'on nous vante les mérites de la lasagne du refuge de l'Onda, alors - comme on a très envie d'en avoir une part - on part tôt et on marche à bonne allure pour ne pas changer. Nous serons passé par une belle bergerie, aurons croisé les chemins du GR Mare a Mare et grimpé une belle volée de gros blocs. Lorsque l'on aperçoit le refuge de l'Onda, il reste une longue descente tout en poussière et en pierre. On finit notre étape assez tôt, ce qui nous laisse le temps de prendre l’apéro, laver notre linge, prendre une douche froide et discuter des prochaines étapes du nord. Le soir vient tout doucement et avec lui la fraîcheur, mais nous serons vite réchauffés par la fameuse lasagne au brocciu de l'Onda, préparée avec tout le savoir-faire de la femme de Jean d'O. Elle est terriblement bonne. Un petit verre de rouge et nous voilà au fromage du dessert. Une fois le fromage terminé, Jean d'O nous apporte une bouteille en plastique, à l’intérieur de laquelle se trouve un liquide indéfinissable d'une couleur orangée. «Bon ben on va goûter ». Quelle saveur, c'est de l'eau-de-vie à la clémentine faite sur place. A ce moment-là, je n'ai plus froid. Nous voici dans nos sacs de couchage, demain l'étape sera Onda – Manganu.
Onda - Manganu
Au réveil, le sol est trempé. Il a plu cette nuit. Nous descendons dans les bois, une longue descente, pour ensuite remonter tout ce que nous avons descendu, c'est ça le GR20. Ce jour verra un aigle royal nous survoler à 10 m. Ca procure un énorme frisson de se retrouver à la même hauteur que ce rapace. Le végétal laisse place au minéral, mais pas tout à fait. Nous retrouverons des vaches paissant sur les fameux pozzine typique des plateaux montagnards corses. On passera aussi à côté d'une plaque commémorative à l'effigie d'un savoyard mort lors d' une traversée en ski durant l'hiver. Arvi camarade. La journée a été belle malgré le sol humide, nous sommes au refuge de Manganu, nous n'avions pas vu autant de monde depuis longtemps. Ils font nord-sud et nous sud-nord. Ça parle fort, très fort. Puis la nuit ça ronfle fort, très fort. Demain Manganu – Tighettu.
Manganu - Tighettu
Aujourd'hui, le soleil n'est pas là ; il y a une brume à faire pâlir n'importe quel montagnard. Alors on attend. 7h00, 8h00, 8h30 ; on peut y aller, il y a une ouverture. C'est l'étape la plus incroyable. Nous descendons d'une montagne hostile et coriace, pour nous retrouver dans un paysage semblable aux Highlands Écossais. A travers ce plateau où le sentier est difficile à discerner avec la brume, se succèdent bergerie et lac d'une rare beauté. A nouveau nous nous plongeons dans les forêts de pin, où un long parcours presque plat nous conduit vers la station de ski Castel de Vergio, où nous ferons une halte pour casser la croûte et faire une sieste. Après nous être rassasiés, le chemin continue pour enfin arriver à une énorme grimpée finale qui nous mènera au refuge de Tighettu, perché à 2000 m face à l'entrée du fameux Cirque de la Solitude. Ce soir, le ciel est voilé. Après s'être installé, on prend un pastis avec le gardien du refuge, qui nous montre un magnifique mouflon, juste là sous nos yeux, à quelques mètres. Après un pastis, puis deux, puis trois, quatre, cinq et le reste, il faut se rendre à l'évidence : on ne va pas pouvoir continuer. Le gardien du refuge nous annonce trois jours d'orage. Nous n'avons pas le temps d'attendre en haut. Alors, on va reprendre un pastis, puis deux, puis trois...
C'est la fin du voyage
Le réveil est super difficile, non pas à cause du pastis, mais parce que c'est fini. Un dernier regard jeté sur le ciel, il en dit long sur la suite. Il va vraiment falloir redescendre. À la sortie du refuge, un panneau m'interpelle, c'est celui qui indique le Cirque de la Solitude, fermé. Une petite pensée me vient pour les personnes qui y sont restées. Ma réflexion, elle, reste toujours la même : c'est la montagne qui décide et on va en montagne pour revenir et pour pouvoir en parler. On a pris le temps d'y vivre, d'y rire et d'y chanter, il faut revenir à une réalité certaine. Que c'est dur. Je n'oublierai jamais le granite, le calcaire, le schiste, le pin, les descentes vertigineuses, les aigles royaux, le vent, la pluie, les bergeries, la lasagne du refuge de l'Onda, la brume épaisse, le rouge et le blanc, les pierres qui se dérobent sous nos pieds, le saucisson, les lacs d'altitude, les portes de pierre, les bons copains de la route, ma sueur, la poussière, la douceur des moments privilégiés avec la nature, cette île traversée, où parfois le ciel se confond avec la mer, et les pierres avec des hommes.
Le GR20 par Alex de la team Lecomte